
Le drone de l'empire.
Le drone de l'empire : Kipling, le temps et l'événement dans la bande-annonce de 28 ans plus tard.
Le drone de l'empire : Kipling, le temps et l'événement dans la bande-annonce de 28 ans plus tard.
Les amis du concept
J'ai toujours été un grand fan de Danny Boyle, depuis Trainspotting, mais je dois admettre que la série 8 jours plus tard (qui n'en est pas à son troisième coup, 28 ans plus tard) m'a particulièrement interpellé. Cependant, je n'ai jamais été capable de comprendre pourquoi elle m'attirait autant, je ne suis pas un fan d'horreur mais il y avait toujours quelque chose de magnétique à ce sujet, du moins en ce qui me concerne. Maintenant, avec la sortie de la bande-annonce de « 28 ans plus tard “, c'est devenu évident, comme l'utilisation brillante du poème de Rudyard Kipling ” boots “ en arrière-plan crée, en termes deleuziens, une ” image-temps “ - où le mouvement et l'action sont clairement subordonnés au ” passé qui perdure » ou le virtuel du célèbre poème de Kipling sur l'Empire britannique et sa décadence dicte les actions de la bande-annonce. Nous ne parlons ici que de la bande-annonce et de son choix brillant d'utiliser Kipling comme une sorte de drone d'objectif. Il ne fait aucun doute que le film tombera dans les tropes classiques de l'image-mouvement, mais en tout cas je trouve la bande-annonce hypnotisante, un visage qui regarde dans l'espace, un drone virtuel de l'empire.
Dans la bande-annonce de *28 ans plus tard*, Danny Boyle propose plus que la poursuite de sa saga dystopique - il met en scène une méditation sur le temps, la mémoire et les résidus spectraux de l'Empire. Au centre de ce champ affectif se trouve la voix de Rudyard Kipling, récitant son poème *If-*, non pas comme une boussole morale.
Le film n'est pas un mantra de motivation, mais un bourdon vocal - une présence temporelle soutenue qui déplace la narration et déstabilise le mouvement. Dans ce geste, Boyle entre par inadvertance (ou peut-être précisément) dans le domaine de l'image-temps de Gilles Deleuze, où le cinéma n'organise plus le temps à travers l'action, mais laisse le temps apparaître de lui-même - fracturé, stratifié et événementiel.
Le poème de Kipling, autrefois symbole de la masculinité impériale stoïque, est désormais découplé de tout contexte clair. Il devient une voix anonyme, planant au-dessus d'images de décadence, de violence et d'inertie. Elle n'est pas instructive, mais obsédante - pas un commentaire, mais une condition. En termes deleuziens, elle agit comme une pure situation optique et sonore, une cristallisation du temps qui s'impose à l'image sans être réductible à une fonction narrative. À l'instar du bourdon ison de la musique byzantine - qui tient le ton non pas pour guider la mélodie mais pour l'ancrer dans un espace ontologique - la voix de Kipling ancre ici la bande-annonce dans une temporalité suspendue. L'action ne se déploie pas à partir d'elle, mais lui est soumise, rendue mineure, voire futile, sous son poids.
C'est la logique de l'image-temps : là où le schéma sensori-moteur s'effondre, où la perception ne mène plus à une action ou à une résolution claire. Le personnage (ou dans ce cas, le spectateur) est placé dans un pur état de contemplation, où le temps devient visible, non pas en tant que chronologie, mais en tant que durée comme force virtuelle.
Deleuze, s'appuyant sur Bergson, écrit que dans le cinéma moderne, le temps cesse d'être une mesure du mouvement et devient une image directe, qui plie et replie le présent en coprésence avec la mémoire, le traumatisme et les futurs potentiels. Le résultat n'est pas une histoire racontée, mais un événement enduré.
Dans ce contexte, la voix de Kipling n'est pas le retour du passé, mais la persistance d'un passé virtuel - une forme de sédimentation historique, un pli sonore qui rassemble l'Empire et ses conséquences sans synthèse. L'idéalisme du poème, sa croyance en l'endurance, apparaît aujourd'hui comme ironique, voire monstrueux, lorsqu'il est superposé à des images d'effondrement post-apocalyptique. Et pourtant, il perdure - non pas parce qu'il est vrai, mais parce qu'il insiste, qu'il revient. Deleuze appellerait cela un événement : non pas ce qui arrive, mais ce qui arrive au temps lui-même. Une transformation incorporelle, planant à la limite du sens, reconfigurant ce que l'image peut ressentir, plutôt que ce qu'elle peut dire.
Ainsi, la bande-annonce de Boyle devient plus qu'un teaser pour un film d'horreur. Elle devient une machine à penser le temps - une expression cinématographique du virtuel, où le mouvement est saturé par la durée, et où le passé n'est pas derrière nous mais en nous, ronronnant, bourdonnant, se pliant à notre présent comme un fantôme que nous ne pouvons pas déloge.
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*The Drone of Empire: Kipling, Time, and the Event in the Trailer for 28 Years Later.
I’ve always been a great fan of Danny Boyle, from Trainspotting onwards, but I have to admit that the 8-days later series (now on it’s third movie, 28 years later) grasped me in a particular way. However, I was never able to understand quite why it attracted me so much, I am not a fan of horror but there ways always something magnetic about it, at least in my experience. Now, with the release of the trailer for « 28 years later » it became very clear and apparent why, as the brilliant use of Rudyard Kipling’s poem ‘boots’ in the background creates, in Deleuzian terms, a « »time image » - where movement and action is clearly subordinated to the « pasts which perists » or the virtual of the well-known Kipling poem on the British Empire and it’s inevitable historical decay dictates the actions of the trailer. KEEP IN MIND, we are only speaking of the trailer and it’s brilliant choice of using Kipling as a sort of vocal drone which subordinates movement to time (and history) - there is no doubt the film will fall into classical movement-image tropes, but in any case I find the trailer mesmerizing, a kind of virtual face staring into space, a drone of empire, or the 'event' in strictly Deleuzian terms.
In the trailer for *28 Years Later*, Danny Boyle offers more than a continuation of his dystopian saga — he stages a meditation on time, memory, and the spectral residue of Empire. Central to this affective field is the voice of Rudyard Kipling, reciting his poem *If—*, not as moral compass or motivational mantra, but as vocal drone — a sustained temporal presence that displaces narrative and unsettles movement. In this gesture, Boyle inadvertently (or perhaps precisely) enters the domain of Gilles Deleuze’s **time-image**, where cinema no longer organizes time through action, but lets time appear in its own right — fractured, layered, and evental.
Kipling’s poem, once a beacon of stoic imperial masculinity, is now decoupled from any clear context. It becomes an anonymous voice, hovering over images of decay, violence, and inertia. It is not instructional, but haunting — not commentary, but condition. In Deleuzean terms, it acts as a pure optical and sound situation, a crystallization of time that imposes itself on the image without being reducible to narrative function. Like the ison drone in Byzantine music — which holds tone not to guide melody but to anchor it within an ontological space — Kipling’s voice here anchors the trailer in a suspended temporality. Action does not unfold from it, but is subjected to it, rendered minor, even futile, beneath its weight.
This is the logic of the time-image: where the sensory-motor schema collapses, and perception no longer leads to clear action or resolution. The character (or in this case, the viewer) is placed in a pure state of contemplation, where time becomes visible, not as chronology, but as duration* as virtual force. Deleuze, drawing on Bergson, writes that in modern cinema, time ceases to be a measurement of movement and becomes a direct image, one that bends and folds the present into co-presence with memory, trauma, and potential futures. The result is not a story being told, but an event being endured.
Kipling’s voice in this context is not the past returning, but the virtual past persisting — a form of historical sedimentation, a sonic fold that brings together Empire and its aftermath without synthesis. The poem’s idealism, its belief in endurance, reads now as ironic, even monstrous, when layered over images of post-apocalyptic collapse. And yet it endures — not because it is true, but because it insists, it returns. Deleuze would call this an event: not what happens, but what happens to time itself. An incorporeal transformation, hovering on the edge of sense, reconfiguring what the image can feel, rather than what it can say.
In this way, Boyle’s trailer becomes more than a teaser for a horror film. It becomes a machine for thinking time — a cinematic expression of the virtual, where movement is saturated by duration, and the past is not behind us but within us, humming, droning, folding through our present like a ghost we cannot dislodge.



